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FinTech intelligence artificielle Monizze paiements RH

Publiée le 7 novembre 2024

IA au Luxembourg : Regards croisés sur une transformation inévitable des entreprises

Dans un monde où l’intelligence artificielle (IA) bouleverse tous les secteurs, les entreprises adoptent ces nouvelles technologies tout en naviguant dans un cadre réglementaire rigoureux. Comment les entreprises et en particulier les Fintechs intègrent-elles l’IA pour renforcer la sécurité, l’efficacité et l’innovation ? Quels sont les défis, et que réserve l’avenir ? 

Pour explorer ces questions, nous avons réuni trois experts aux perspectives uniques : Thibault de Barsy, CEO de The Payments Association EU, Nadia Manzari, Avocate à la Cour, et Jean-Louis Van Houwe, directeur régional pour l’Europe du nord chez Groupe Up (dont Up Luxembourg fait partie) et fondateur et CEO de Up-Monizze, success story de l’écosystème Fintech et HRTech belge. Découvrez leurs visions dans cette conversation sur les enjeux de l’IA dans les entreprises au Luxembourg.

Surveillance des transactions: quel modus operandi ?

Thibault de Barsy bénéficie d’une vue hélicoptère sur l’industrie des paiements en Europe et au Luxembourg. Pour les 150 membres de la Payments Association EU, « l’IA intervient principalement dans le domaine de la surveillance des transactions. Les acteurs du paiement sont tenus de signaler les transactions financières suspectes dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et la criminalité financière. L’IA va être d’une aide substantielle dans la détection des schémas complexes ou dans le filtrage des transactions d’apparence semblable.» La principale difficulté rencontrée par les entreprises du secteur de paiement est le manque d’un mode d’emploi standardisé. « Chaque entreprise crée son propre mix entre solutions internes, recommandations de fournisseurs et meilleures pratiques internationales. C’est dans ce cadre que nous avons récemment lancé un livre blanc sur le sujet KYT Best Practices and moreajoute-il.

Ses propos sont renforcés par Jean-Louis Van Houwe qui a fondé et dirige une entreprise pionnière dans la digitalisation des titres-repas et qui sert d’inspiration pour Up Luxembourg. « En tant qu’entreprise FinTech, nous avons intégré l’IA dans nos applications pour détecter la fraude, mais aussi pour explorer des législations complexes avec notre assistante RH, Alix, que nous avons créée pour nos clients. Comme le souligne Thibault, combiner des développements internes avec des outils offerts par des partenaires est crucial. Notre priorité reste d’améliorer la qualité de nos services tout en assurant la sécurité des transactions. »

L’IA au service de l’innovation et de la productivité

La sécurité passe en premier, mais les deux entrepreneurs chevronnés voient certainement plus d’avantages à l’utilisation de l’IA.

« Up Monizze utilise l’intelligence artificielle depuis déjà près de 10 ans. Nous l’avons intégré dans nos applications mobiles en vue de faire des suggestions ou recommandations de marchand affilié à notre réseau pour guider nos utilisateurs. Il est bien entendu que nous avons suivi avec beaucoup d’intérêt les progrès de l’intelligence artificielle générative. A titre d’exemple, au niveau du produit, nous prévoyons d’enrichir la qualification de nos marchands ou des produits qui peuvent être achetés avec les titres repas belges, soit une qualification écologique ou consommation en CO2, » explique Jean-Louis Van Houwe.

Pour lui, l’enjeu principal réside dans l’optimisation de la productivité des équipes : « Les défis sont surtout de pouvoir utiliser l’intelligence artificielle pour améliorer nos produits ainsi que l’efficacité de nos services. Par exemple, notre capacité d’intégrer cette intelligence artificielle dans les équipes marketing, ventes et service clients. Ou encore au niveau de l’équipe de développement, en vue d’augmenter la productivité ou la qualité du code. Il est donc très important d’avoir à l’intérieur de l’organisation un champion dans chacune des divisions, en vue d’accélérer au maximum l’accélération de l’utilisation de cet outil pour tous les collaborateurs. »

Thibault de Barsy

Thibault de Barsy voit aussi une opportunité à ne pas manquer dans l’automatisation et juge que l’adoption est « plutôt enthousiaste» dans le domaine des paiements. « Les nouveaux outils viennent remplacer des processus, pour la plupart manuels, coûteux et imparfaits. Le problème est qu’il faut souvent superposer les anciennes et les nouvelles méthodes dans un premier temps afin de comparer les résultats et convaincre tant en interne qu’en externe qu’on a effectué les bons choix. » 

Il ajoute que le dialogue continu avec la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF) au Luxembourg, qui veille à ce que les entreprises respectent des normes tout en innovant, est un réel atout pour le pays. « Le Luxembourg n’est pas en retard ; la CSSF est ouverte à un dialogue constant, ce qui encourage les acteurs financiers à poursuivre leurs investissements en IA, » conclut-il. 

Transparence et confiance : comment encadrer l’usage de l’IA ?

Pour Nadia Manzari, spécialiste des enjeux de digitalisation de la finance, « se lancer dans l’IA implique de surveiller certaines embûches éthiques et juridiques. La protection des données est essentielle pour respecter le RGPD et garantir que les informations personnelles soient traitées de façon sécurisée. La gestion des biais dans les algorithmes est un autre enjeu majeur, car ils peuvent reproduire des discriminations présentes dans les données initiales. La transparence et la responsabilité sont aussi cruciales : les décisions prises par une IA doivent être explicables, et les responsabilités clairement établies en cas d’erreur, » explique-t-elle. 

Sur le marché luxembourgeois, elle constate une tendance à encadrer l’utilisation de l’IA au sein des entreprises. « Certaines instaurent des comités éthiques et mettent en place des politiques pour éviter les dérives. Cependant, d’autres entreprises adoptent une approche plus flexible en donnant plus de liberté aux employés, tout en les sensibilisant aux risques éthiques liés à l’IA. D’autres utilisent des IA privatives. »

Jean-Louis Van Houwe

Pour Jean-Louis Van Houwe, il s’agit d’une question de responsabilité car l’utilisation de l’IA « impacte quasiment toutes les fonctions d’une entreprise: les DRH doivent en tenir compte et stimuler les pratiques de L&D (Learning & Development) en vue de rester à parité avec un monde en évolution et de permettre aux collaborateurs de comprendre non seulement les opportunités, mais aussi les risques. »

Avec leur projet de l’AI Act, les autorités européennes mettent en place des exigences par rapport à l’usage des IA à haut risque, notamment dans les secteurs financiers,  pour protéger les droits fondamentaux. Selon Nadia Manzari, même si cet effort est « essentiel pour protéger les droits fondamentaux et garantir une utilisation éthique de l’IA, il pose aussi des défis, notamment pour les petites entreprises qui pourraient avoir des difficultés à se conformer à toutes les exigences. L’AI Act marque un pas en avant, mais une harmonisation des critères techniques entre les États membres sera nécessaire pour garantir une mise en œuvre uniforme et efficace dans toute l’Union. »

Dans la même note, Thibault de Barsy qualifie le projet de grand pas en avant, mais déplore les contraintes supplémentaires pour les entreprises financières : « ces obligations signifient qu’il faut parfois superposer les anciennes méthodes de surveillance et les nouvelles technologies IA afin de s’assurer de leur fiabilité. C’est un processus long mais nécessaire pour gagner la confiance des régulateurs et des parties prenantes. »

Jean-Louis Van Houwe garde une perspective pragmatique: « comme dans tout projet de Change Management, il faut avoir une bonne compréhension d’où on vient et vers où on va, de comprendre le gap et donc la difficulté des individus à changer. Pour réussir ce changement, il est essentiel de saisir pleinement ses avantages  et d’articuler l’accompagnement en se focalisant sur ces derniers, sans ignorer l’effort nécessaire pour modifier ses habitudes, » conclut-il.

Sur la bouneweg (“bonne voie” en luxembourgeois)

La transformation du secteur financier luxembourgeois, impulsée par l’intelligence artificielle, est à la fois complexe et inévitable. Cette révolution va bien au-delà des gains d’efficacité, nécessitant une redéfinition en profondeur des pratiques en matière de sécurité, de transparence et de responsabilité. Si l’IA offre l’opportunité d’automatiser des processus et de maximiser la productivité, elle soulève également des défis éthiques et juridiques majeurs, comme la protection des données personnelles et la gestion des biais algorithmiques.

Ce parcours, bien que jalonné de défis, démontre que les entreprises perçoivent l’IA non seulement comme un outil d’optimisation, mais aussi comme un levier stratégique essentiel pour anticiper l’avenir du secteur financier européen. La vraie question qui se pose désormais est : à quelle vitesse les entreprises parviendront-elles à trouver un équilibre entre adoption rapide et responsabilité pour façonner cet avenir ?